Les naufrages et les catastrophes
aériennes sont trés souvent l'occasion de
véritables carnages dont il n'est pas toujours rendu compte,
parce que les victimes ne sont plus là pour témoigner, et
parce que les témoins directs n'ont qu'une vue partielle des
événements qui se déroulent autour d'eux.
THE BIRKENHEAD
from the picture by Captain Bond-Shelton 12th Royal Lancers
a surviving officer
Le 26
février 1852,
La frégate anglaise Birkenhead heurte à 2 heures
du matin un récif au sud du cap de Bonne-Espérance,
à seulement 1 600 mètres au large de Danger Point. a son
bord 490 soldats anglais, avec 25 de leurs femmes et 31 enfants, en
plus d'un équipage de 134 hommes commandés par le
capitaine Robert Salmond.
Dans les premières minutes suivant la collision, la confusion
règne à bord alors que les soldats, les marins et les
passagers se précipitent tous sur le pont pour échapper
aux flots qui envahissent l'avant du navire. Les officiers
rétablissent vite le calme en ordonnant aus hommes de se
regrouper à la poupe du bateau, et le colonel Seton commande
à ses officiers de veiller à ce que tous les ordres du
capitaine Salmond soient immédiatement exécutés.
Celui-ci ordonne que
les femmes et les enfants embarquent sur une chaloupe, désignant
un enseigne te un sergent pour séparer de force les femmes et
leurs maris. Une seconde embarcation est mise à l'eau avec
à son bord 30 hommes. Il n'y a plus d'embarcation de sauvetage
pour les 600 hommes restants à bord du Birkenhead
dont le pont s'incline de plus en plus vers l'avant. Beaucoup de
passagers coincés dans les ponts sont déjà morts
noyés et d'autres ont peri écrasés par les
mâts s'abbatants sur le pont. D'autres enfin ont
été projetés par-dessus bord, et
déjà parviennent des eaux environnantes des hurlements de
terreur. Les naufragés ne voient pas les drames qui se
déroulent autour d'eux dans la nuit, mais ils devinent que les
cris sont ceux des nageurs happés vers les fonds par les
requins. Il reste sur le pont 200 hommes lorsque le capitaine Salmond
grimpe de quelques mètres au mât de misaine pour crier
à l'attention des hommes : "Chacun pour soi maintenant. Votre
seule chance si vous savez nager est de sauter à l'eau et de
tenter de vous accrocher à tout ce qui flotte, mais je vous
implore d'éviter la chaloupe contenant les femmes et les
enfants, elle est déjà surchargée. Je vous demande
en fait de rester où vous êtes."
Trois hommes
seulement vont sauter par-dessus bord, et, parmi le reste des 200
autres, aucun ne bouge, obéissant stoïquement aux
consignes. Quelques instants aprés la harangue de Salmond, la
coque du navire se casse en deux, tout le pont avant disparaît
sous l'eau tandis que la poupe se redresse au-dessus de la surface et
que le gouvernail émerge complètement. Un officier
survivant écrira plus tard : "Chaque homme fit ce qui lui avait
été ordonné, et il n'y eut pas un cri, pas un
murmure parmi eux, jusqu'à ce que le navire fasse son plongeon
final... Les officiers avaient reçu leurs ordres et les avaient
exécuté, comme si les hommes embarquaient au lieu d'aller
droit au fond de la mer. Il n'y avait qu'une différence, je n'ai
jamais vu d'embarcation conduite avec aussi peu de bruit ou de
confusion."
Le Birkenhead
coula exactement trente minutes après avoir heurté le
récif. La mer était rouge de sang, et l'on y devinait
à la surface des restes humains difficilement reconnaissables,
déchirés par les requins. Le lieutenant Girardot
écrivit à son père : "Je restai sur le pont
jusqu'à ce que le bateau coule. Je fus entraîné
sous l'eau par l'aspiration et un homme m'attrapa la jambe. Je
réussis à me dégager en lui donnant des coups de
pied et parvins à la surface où je m'accrochai à
des morceaux de bois. Je restai dans l'eau pendant cinq heures... La
barre était tellement haute que beaucoup périrent en
essayant d'atteindre la terre. Pratiquement tous ceux qui se
retrouvèrent à l'eau sans leurs vêtements furent
pris par les requins , des centaines d'entre eux nous entouraient, et
je vis plusieurs hommes happés juste à côté
de moi, mais, comme j'étais habillé... Ils
préféraient les autres."
Plus de 60 hommes parvinrent à nager
les 1 600 mètres les séparant de la côte, mais la
plupart des passagers du Birkenhead
ne savaient pas nager, y compris le colonel Seton qui se noya. Le
capitaine Salmond fut projeté par-dessus bord et tué par
la chute de la mâture. Le naufrage fit 455 morts, et la part
revenant aux requins fut certainement du même ordre de grandeur
que celle revenant au navire et à la mer. Lorsque le
récit du drame arriva à Londres vers le 15 avril 1852, la
liste complète des victime fut publiée, mais pas un mots
sur les requins...
"IN
MEMORY OF THOSE WHO PERISHED
IN
H.M.S. BIRKENHEAD
26TH.FEBRUARY.1852
THE SHIP
CARRYING RENFORCEMENTS
FOR THE
EIGHT,KAFFIR WAR,STRUCK
A SUNKEN REEF
APPROXIMATELY
11/3
SEA MILES SOUTH-WEST BY SOUTH
FROM THIS POINT.
NINE OFFICERS,
THREE UNDRED &
FORTY-NINE OF
OTHER RANKS AND
EIGHTY-SEVEN OF
THE SHIP'S
COMPAGNY LOST
THEIR LIVES.
EVERY WOMEN
& CHILD WAS SAVED
ERECTED BY THE
NAVY LEAGUE OF SOUTH AFRICA 1936"
Beaucoup plus tard, le 18 novembre 1942
à 9h15mn,
dans la même région
mais côté océan Indien, le bateau à vapeur
anglais Nova Scotia est
coulé par un U-Boot allemand à 50 kilomètres au
large de Ste Lucie dans la province du Natal. En plus de
l'équipage, le bateau transporte 765 prisonniers de guerre
italiens et 134 soldats d'Afrique du Sud revenant du Moyen-Orient vers
Durban. La plupart des embarcations de sauvetage
brûlèrent, et des centaines de survivants se
retrouvèrent à la mer dans des brassières de
sauvetage ou accrochés à de vulgaires radeaux de bois ou
de caoutchouc. Georges Kennaught, de Johannesburg, témoigne :
"Il y eut soudain deux terribles explosions, nous venions d'être
torpillés. J'essayai d'atteindre ma ceinture de sauvetage mais
le bateau donnait déjà de la bande, et je glissai sur le
pont qui était gras. Je me retrouvai à la mer vêtu
de mon seul maillot de bain. je nageai dans l'eau noire couverte de
mazout et m'accrochai à la rame de bois qui flottait. Il y avait
des centaines d'hommes nageant autour de moi, s'accrochant à des
morceaux d'épave ou de radeaux. Un autre soldat de mon
régiment s'agrippa au même espar que moi. Il portait un
gilet de sauvetage. Nous dérivâmes toute la nuit,
emportés par un fort courant. A l'aube il n'y avait plus de
mazout mais encore de nombreux survivants autour de nous. Dès
qu'il fit jour, mon compagnon me dit qu'il préférait
mourir que de rester ainsi sans espoir accroché à un
morceau de bois. Il me dit qu'il allait lâcher et refusa de
m'écouter quand j'essayai de le dissuader. Alors je lui demandai
de me passer son gilet de sauvetage avant de se laisser couler. Comme
il desserrait les sangles, il hurla soudain et tout le haut de son
corps fut littéralement soulevé hors de l'eau. Lorsqu'il
retomba, la mer était couverte de sang, et je vis que son pied
avait été sectionné. A ce moment j'aperçus
la forme grise d'un requin nageant nerveusement autour de nous, et je
m'éloignai aussi vite que je pus. Puis quelques requins
s'assemblèrent autour de moi, d'environ 2 mètres à
2,50 mètres. de temps en temps, l'un d'eux se dirigeait droit
sur moi, et je frappais l'eau de toutes mes forces pour lui faire
changer d'avis, ce qui semblais efficace.J'aperçus un radeau
avec des italiens et un sergent sud-africain. Je parvins à
monter à bord et nous pûmes survivre grâce à
un coffre qui contenait de l'eau et de la nourriture. Les requins
tournaient sans arrêt et nous les frappions à coups de
rame pour les éloigner. Soixante-sept heures après que le
navire eut été torpillé nous fûmes
sauvés par un sloop portuguais."
Les marins
portugais durent frapper les requins à coups de grappin pour les
maintenir à distance pendant les opérations de sauvetage.
Un total de 192 survivants furent sauvés et on peut estimer
à plus de la moitié des 850 morts ceux qui furent
tués par les squales. Tous ces hommes étaient en effet en
pleine force de l'âge, savaient nager, et la température
de l'eau à cette époque dans les parages devait leur
permettre d'attendre les secours.
Toujours
dans les mêmes eaux, le city of Cairo fut coulé le 2
octobre à cinq jours de la ville du Cap.
Le capitaine Angus
Mac Donald était à bord d'une chaloupe avec 54 survivants
: "avant minuit dès le premier jour nous vîmes nos
premiers requins. Ils étaient énormes, et comme ils
glissaient sous le bateau vers l'avant et vers l'arrière, il
semblait qu'ils nous bousculeraient et qu'ils nous feraient chavirer.
Ils se contentaient de raser le bateau à chaque fois, et ne nous
quittèrent à aucun moment... Plusieurs camarades
moururent pendant la nuit, que nous devions jeter à la mer
dès l'aube. Les requins étaient en colonie ce
matin-là, et l'eau bouillonnait littéralement dès
que les corps touchaient la surface. Le quinzième jour, l'un des
matelots décida de se suicider en se noyant, et se jeta
par-dessus le gouvernail. Il avait oublié d'enlever sa
brassière de sécurité, et, comme nous
étions trop faibles pour lui venir en aide, ce sont les requins
qui le tuèrent, pas la noyade."
Les survivants furent
récupérés par un navire allemand, le Rhakotis, mais celui-ci fut
à son tour coulé par un croiseur britannique. Ils se
retrouvèrent finalement à bord d'un U-Boot...
Juste quelques jours avant que les Anglais
ne se rendent aux Japonais à Singapour en 1942,
trois militaires
s'échappèrent à Sumatra où ils se
procurèrent une minuscule embarcation de 5 mètres sur 1,4
mètre. Avec ce dinghy qui contenait tout juste trois
sièges, ils entreprirent de se rendre en Australie, à 2
600 kilomètres de là ! Ils subirent 125 jours de
cauchemar en pleine mer, pour se retrouver finalement... à
Sumatra, à 190 kilomètres de leur point de départ.
Ce ne fut pas seulement leur inexpérience en matière de
navigation qui rendit l'expédition vaine, mais aussi
l'omniprésence des requins qui les rendit presque fous. la
chaleur était étouffante à bord de leur petite
embarcation ouverte, et la sensation d'oppression difficilement
supportable sur une mer sans vent. Leur obsession constante
était de plonger par-dessus bord pour se rafraîchir dans
cette eau bleue qui semblait les y inviter en permanence. Mais il y
avait les requins, les requins étaient toujours là, jour
et nuit, sans arrêt. Jour après jour leurs ombres
étaient comme de mauvais anges-gardiens suivant le bateau
à 2 ou 3 mètres. Pas une fois ils n'osèrent se
baigner. Un jour où les trois hommes firent un petit feu pour
préparer un repas, l'un des requins percuta le bateau avec une
telle force qu'il détruisit le gouvernail.
Un Dinghy
En
janvier 1942,
un avion
torpilleur de l'US Navy, pris dans une tempête, se pose en plein
Pacifique. Les trois hommes d'équipage se réfugient dans
le dinghy de 2,50 mètres sur 1,25 mètre avec, pour tout
équipement, un couteau de poche, un pistolet et une paire de
pinces. Dès le cinquième jour, le manque d'espace vital
leur manque considérablement, mais des requins les
empêchent de prendre de l'exercice en se baignant, les laissant
griller sous la fournaise tropicale. Parmi les trois hommes, le radio
Aldrick fait preuve d'une adresse exceptionnelle pour attrapper les
poissons qu'il embroche avec son couteau.
C'est
grâce à lui que les trois hommes survivront trente-quatre
jours. Une nuit, Aldrick plongea la main dans l'eau pour
vérifier la direction du courant. Par malheur, un requin
veillait et lui happa aussitôt les doigts, les entaillant
jusqu'à l'os. Les blessures s'infectèrent très
vite ; l'un de ses compagnons débrida les plaies, permettant au
pus de s'écouler et à Aldrick de reprendre ses
pêches miraculeuses. Ce requin était de petite taille,
mais quelques jours plus tard ils traversèrent une zone envahie
de requin léopards "si agressifs qu'ils menaçaient
à chaque instant de retourner notre radeau. Un moment nous
fûmes obligés de repousser l'un des squales en lui
martelant le museau à coups de poing, et nous
réussîmes à en tuer un autre d'une balle de
pistolet, avant que la rouille n'eût rendu inutilisable notre
seule arme à feu".
On peut dire que la
totalité des récits retraçant de longues
dérives en eaux tropicales fait état de mla
présence quasi constante des squales. Les petits sont à
proximité immédiate, tandis qu'on voit les gros plus
souvent à la tombée de la nuit et au lever du jour.
Il est évident que la mise
au point d'un répulsif efficace permettra non seulemnt à
l'homme à la mer d'échapper aux requins, mais aussi au
naufragé "enfermé" dans le dinghy de se mettre à
l'eau régulièrement sans se faire attaquer.
Certains, plus déterminés, ont
assumé le risque avec succès ; ainsi une poignée
de survivants du croiseur britannique Avocet, qui se
retrouvèrent en radeau de fortune construit avec des fûts
d'huile vides. Le commandant en second avait pris en charge
l'embarcation et s'astreignait à un livre de bord
circonstancié :
"Pendant le calme des
après-midi, quand la chaleur est intense, les hommes ont
demandé s'ils pouvaient se baigner. J'ai d'abord refusé
par crainte des requins qui nous entourent, puis finalement j'ai
décidé qu'il valait mieux prendre le risque plutôt
que de voir les hommes devenir fous sous l'emprise de la soif. On a
donc organisé des bains de telle façon qu'il n'y ait
jamais plus de trois hommes à l'eau en même temps, les
autres surveillant les requins qui sont toujours à
proximité. Tous les jours, chacun des hommes passe un moment
dans l'eau, avec une corde autours de la ceinture. Dès que les
hommes aperçoivent une ombre grise se rapprochant rapidement,
ils tirent brutalement leurs compagnons hors de l'eau. Nous sommes
toujours anxieux que l'un des requins ne nous attrappe."
Un matin de novembre 1918,
Un steamer Una coule sur un
haut fond à 100 kilomètres au nord de Saint-Domingue dans
la mer des Caraïbes. Les officiers et l'équipage embarquent
sur des bateaux de sauvetage, mais il n'y en a pas assez à bord,
et 75 travailleurs doivent embarquer sur des radeaux très
rudimentaires. La mer est calme, et en moins d'une heure les eaux sont
envahies par des requins dont la taille varie de 2,5 mètres
à 5 mètres.
Quelques radeaux sont surchargés, et
dès qu'un homme tombe à l'eau il est immédiatemant
mis en pièces par les squales. A mesure que le temps passe, les
requins se font de plus en plus agressifs et attaquent les hommes
terrorisés jusque sur les radeaux, essayant de les faire tomber
d'un coup de queue ; certains posent leur tête sur le radeau et
happent les malheureux survivants par une main, un bras ou une jambe,
les tirant immédiatement dans l'eau. Certains radeaux
s'inclinent tellement sous le poids des requins que les
naufragés épuisés ne peuvent plus se tenir et
glissent dans la mer où ils sont démembrés en
quelques secondes. Plusieurs requins essaient de soulever les radeaux
avec leur dos et parviennent ainsi à déséquilibrer
quelques victimes supplémentaires. Les hommes n'ont pour se
défendre que quelques avirons qui sont rapidement
cisaillés ou arrachés des mains.
Le
cauchemar durera plusieurs jours, et l'idée d'échapper
à un désastre maritime pour se retrouver
dépecés par les horribles dents des requins conduira
plusieurs malheureux à la folie. Beaucoup vont se jeter à
l'eau, directement dans les mâchoires de leurs
persécuteurs.
Sur les 75 hommes, on ne
recueillera qu'une poignée d'hommes épargnés par
les requins.
Nul ne saura jamais
combien de centaines de radeaux ou dinghies ont ainsi disparus avec
leurs occupants, harcelés par les squales. Considérant
qu'il y a environ dans le monde chaque année 50 000
naufragés, dont une bonne moitié dans la ceinture
tropicale, il peut y avoir plusieurs centaines d'entre eux qui sont
directement victimes des requins. Je me bornerai donc à rappeler
l'exemple du Doña Paz
qui
coula en décembre 1987 en mer de Chine, entre les Philippines.
Construit en
1963 pour faire la navette entre deux ports du sud du Japon, ce ferry
était autorisé à transporter 608 passagers.
Reconditionné sommairement pour la compagnie Philippine
Sulpicio, la capacité officielle fut portée à 1
500 passagers. A l'approche des fêtes de fin d'année, les
Philippins ont coutume de se déplacer d'île en île.
Pauvres, ils n'hésitaient pas à s'entasser à deux,
trois voire quatre par couchette. A Manille, on pense que la population
embarquée sur le Doña
Paz
en ce jour du 20 décembre 1987 devait être de l'ordre de 3
000 à 4 000 personnes ! Je ne reviendrai pas sur les causes
humaines de ce second plus grand naufrage de tous les temps, pour
m'attarder seulemnt sur tous les paramètres qui devaient
irrémédiablement attirer tous les squales de la zone.
Il est 22 heures lorsque le petit pétrolier Victor percute le Doña Paz à babord,
juste derrière le château à heuteur des ponts
passagers. Le Victor
transporte 880 barils de kérosène qui s'enflamment
aussitôt. L'incendie gagne le ferry, et de multiples explosions
se succèdent. Le fuel en feu se répand sur la mer autour
des deux navires. La panique est épouvantable parmi les
passagers et l'équipage est complètement
débordé. Tous ceux qui réussissent à
enjamber le bastingage sautent dans une mer en feu et sont
intantanément brûlés. Beaucoup sont
déchiquetés par les explosions. Aucune chaloupe ne peut
être mise à la mer, et ne survivront que ceux qui auront
assez de souffle pour nager sous l'eau le temps nécessaire pour
émerger au-delà des flammes. C'est la raison pour
laquelle il n'y aura aucun rescapé parmi les enfants et les
vieillards. le nombre de survivants sera dérisoire : 2 femmes et
24 hommes seulement !
Moins de 1 % de respapés, si l'on admet qu'il y avait entre 3
000 et 4 000 passagers. Les causes de ce bilan consternant sont
multiples, et la participation des requins pour achever ce carnage fut
certainement considérable. Soulignons d'abord la présence
de nombreux grands prédateurs dans la mer de Chine : grand
blanc, requin tigre, requin taureau, requin océanique, peau
bleue, etc. et l'activité de chasse
préférentiellement nocturne de beaucoup d'entre eux.
Observons par ailleurs la multitude des "paramètres
provocateurs" entourant le naufrage : le bruit (explosions sourdes,
fracas métallique se répercutant très bien dans
l'eau, hurlements des passagers), l'odeur du sang et de la chair
grillée de milliers de victimes, les innombrables vibrations et
mouvements facilement détectables par les organes
spécialisés des squales, les contrastes lumineux
éclairant la surface de l'eau comme en plein jour, les
vibrations de salinité et de champ électrique induites
par les liquides et objets divers...
Le lendemain, les hélicoptères et de
nombreux bateaux envoyés sur les lieux ne retrouvèrent
aucun cadavre parmi les taches de fuel et les milliers d'objets
flottants, preuve que les squales étaient déjà
passés... Seulement 300 corps mutilés seront
repêchés loin du lieu du naufrage, et les pêcheurs
philippins retrouveront pendant des semaines des débrits humains
dans l'estomac de nombreux squales capturés. Ils iront
jusqu'à renoncer à l'un de leurs plats nationaux, le
lapu-lapu à base de mérou...
Le temps d'apparition des
squales sur les lieux d'une catastrophe aérienne ou maritime en
eaux tropicales ou subtropicales est en général
très court, variant entre 30 minutes et 24 heures. En dehors du
ou des quelques requins se trouvant par hasard au voisinage
immédiat de l'accident, les squales laissent en
général le temps aux naufragés de s'embarquer dans
les embarcations de survie. D'après les témoignages de
deux mille cinq cents pilotes ou naufragés de la seconde guerre
mondiale s'étant retrouvés dans de telles circonstances,
les squales apparaissent parfois dans la demi-heure, mais le plus
souvent dans un délai de 24 heures au maximum. A mesure que les
jours passaient, ils devenaient de plus en plus familiers, sautant hors
de l'eau en éclaboussant les occupants des embarcations,
frappant les fragiles rebords de leurs énormes queues, soulevant
le bateau et ses occupants de plusieurs dizaines de centimètres,
mordant ou cassant les pagaies, avalant aussi bien les poissons
s'abritant sous l'embarcation que les mains ou les pieds ayant le
malheur de traîner dans l'eau.
Octobre 1987, dans la mer des
caraïbes,
un pilote d'observation fut également traumatisé par le
spectacle qui s'offrit à lui. En ce début d'octobre 1987,
168 Dominicains quittent clandestinement leur pays pour les Etats-Unis,
via Porto Rico. A bord de l'embarcation, des femmes, des enfants, des
vieillards, des hommes entassés les uns sur les autres. Pour une
raison mal définie, l'embarcation chavire. Tous les passagers se
retrouvent à l'eau, une eau tropicale tiède, qui permet
une survie relativement longue. Les naufragés n'étant
qu'à huit kilomètres de la côte, ils entreprennent
de nager vers elle. Leurs efforts vont durer 12 heures, au cours
desquelles ils devront affronter le soleil de plomb, un courant
contraire et, surtout, des agresseurs intraitables, les requins
attirés par leurs blessures.
Chef de
la protection civile, Eugenio Cabral survole les lieux en
hélicoptère et assiste, impuissant, à un spectacle
horrible. "Les requins étaient devenus comme fous,
explique-t-il. Au début les squales dévoraient uniquement
les cadavres, mais très rapidement ils ont attaqué
partout. C'étaient de gros requins, des makos et des marteaux,
l'eau était devenue rouge." Sur les 168 passagers, on ne
retrouvera que 8 survivants !
Il est évident que ces
malheureux furent victimes du comportement des squales qui n'est
heureusement pas systématique, mais incroyablement dangereux :
celui de la frénésie alimentaire. Quand on sait
l'excitation meutrière incontrôlable qui saisit alors les
squales, et la vulnérabilité terrible d'un homme à
la mer, on comprend qu'une infime minorité seulement
échappe au massacre.
Toujours à propos des hommes
à la mer en eaux tropicales, Christian Troebst rapporte le cas
d'un naufragé relativement heureux.
"Pendant la guerre, un pilote américain tomba en mer avec deux
autres aviateurs près des côtes de l'Amérique du
Sud. Au bout de 5 heures, l'un de ces derniers mourut
d'épuisement ; le pilote se mit à nager en poussant le
cadavre devant lui. Soudain, quelque chose imprima une secousse au
corps qui disparut définitivement sous l'eau. Les survivants
continuèrent à nager dans la nuit, mais, quelques heures
plus tard, le second aviateur mourut à son tour. Le pilote se
mit à nouveau à le pousser devant lui. Entre-temps la
lune s'était levé, et la clarté lui permit de
distinguer tout à coup les nageoires dorsales d'un grand nombre
de requins qui tournaient en cercle. Une fois encore, une saccade
secoua le corps qui s'enfonça un bref instant sous l'eau, puis
remonta à la surface, mais sans les pieds. Horrifé, le
nageur le fit tourner et l'empoigna par les épaules. Le corps
replongea aussitôt une seconde fois pour
réapparaître et replonger. Les requins le
dévorèrent petit à petit jusqu'aux épaules.
A l'aube ils commencèrent à attaquer le pilote ; celui-ci
savait qu'il était tout près du rivage. Hurlant et
battant l'eau frénétiquement, il prit pied sur la
côte sans dommage."
Un marin américain dont le
destroyer fut coulé au large de Guadalcanal témoigne :
"Je dérivais depuis onze heures quand, soudain, je sentis le
pied gauche me démanger. Je le soulevai au-dessus de l'eau : il
ruisselait de sang. Je plongeai la tête et j'aperçus le
requin qui fonçait sur moi. J'agitai violemment bras et jambes ;
il passa tout près, à me frôler. Il vira sur
lui-même et revint droit sur moi. Je serrai le poing et lui
assenai un coup sur la mâchoire, de toute mes forces. Il
s'éloigna - non sans avoir arraché un morceau de ma main
gauche -, il attaqua de nouveau et, encore une fois, je lui martelai
les yeus et le nez. Quand il s'écarta, je constatai qu'il avait
lacéré mon bras gauche. Mon talon aussi avait disparu. A
ce moment, un cannot de sauvetage s'approcha. Je lui fit de grands
signes et oubliai le requin. Il m'arracha un morceau de hanche, mettant
l'os à nu. Puis je fut hissé dans le cannot."
Juste avant Noël 1948,
Tony Latona, un garçon de treize ans, est recueilli
sur une plage de Cuba. Il est dans une condition critique et porte
autour de la taille une bouée de sauvetage en piteux
état. Il vient de passer quarante heures dans l'eau et son
histoire est tout d'abord difficile à croire. Il raconte comment
il jouait avec un autre garçon, Bent Jeppsen, âgé
de quatorze ans, sur le pont arrière du bateau danois Grete Maersk, quand Jeppsen passa
par-dessus bord à environ quatorze kilomètres du cap
Maisi à Cuba. Tony lança une bouée de sauvetage
à Jeppsen, puis sauta par-dessus bord pour l'aider. Leurs cris
bien sûr ne furent pas entendus et le navire disparut. Ils
étaient à l'eau depuis deux heures lorsqu'ils virent des
requins arrivant pour les attaquer. L'un d'eux attaqua Jeppsen et
laissa deux profondes entailles sur son pied gauche. L'histoire de
Latona continuait : "Nous avons frappé, frappé,
jusqu'à ce que les requins s'éloignent. J'ai dit à
Jeppsen que le sang dans l'eau rendrait les requins fous. Je lui dis
d'enlever son pantalon et de le nouer autour de son pied pour aider
à arrêter le saignement. Nous n'avons plus vu les requins,
mais ils ne devaient pas être loin parce que, une heure plus
tard, lorsque le pantalon de Jeppsen s'en alla, les requins
étaient de retour sur nous en quelques minutes. Ils
passèrent juste derrière moi et essayèrent de
happer Jeppsen. Nous avons continué à les garder
éloignés, mais ils revenaient tous les quarts d'heure. Et
puis un requin l'attrapa encore au même pied. Il se plaignit de
souffrir. Les requins revinrent plus souvent, prêtant de moins en
moins attention à nos efforts pour les éloigner. Assez
vite un autre mordit Jeppsen sous le bras. Il pleura quand le requin
lui arracha les chairs. Un autre arriva, qui lui arracha le genou. Il
hurla et commença à couler. Il s'enfonça sous
l'eau en criant : "Mon pied !" Il émergea à nouveau,
criant et se battant, et puis il disparut encore. C'était la
dernière fois que je le voyais. Je vis du sang dans l'eau, je
m'assis dans la bouée de sauvetage et je gardais mes pieds sur
les bords, au-dessus de l'eau, en pagayant avec mes mains
jusqu'à ce que je soit trop fatigué. Quand le jour s'est
levé j'étais près de la côte mais les
courants de la journée me repoussèrent au large. La nuit
suivante les requins revinrent, l'un d'eux m'arrachant mon fond de
pantalon. Le matin du second jour, un courant me ramena enfin à
la côte."
Le commandant Kabat éprouva également à ses
dépens l'acharnement possible d'un requin sur sa proie, lorsque
son destroyer, le Duncan, coula au large de Guadalcanal en 1942, et
qu'il se trouva dans l'eau toute la nuit avec, pour seul moyen de
flotter, un vieux gilet de sauvetage en kapok et deux petits bidons
à poudre vides. Peu après le crépuscule il
ressentit une démangeaison au niveau du pied gauche et
découvrit qu'il saignait. Il remarqua alors à moins de
trois mètres de lui l'ombre brunâtre d'un squale. Celui-ci
tourna à plusieurs reprises, puis attaqua à nouveau.
Kabat tenta d'éloigner le requin à coups de poing.
Après que l'animal fut parti il constata qu'un morceau de chair
avait été arraché de sa main gauche. A intervalles
d'environ quinze minutes il était attaqué et
blessé un peu plus à chaque fois. D'abord, son gros
orteil fut arraché, puis un morceau de sa hanche droite, puis un
autre de son épaule gauche, de sa main droite, de la fesse.
Kabat constatait : "Quand il ne plantait pas ses dents dans mes chairs,
son cuir râpeux m'arrachait de grands morceaux de peau." Au cours
des attaques qui suivirent, sa cuisse fut si profondément
entamée que le fémur était apparent.
En 1942, le Dorsetshire fut coulé
par des mines en plein océan indien.
Le commandant Agar réalisa très vite que, pour des
centaines d'hommes à la mer qui l'entouraient, le danger venait
avant tout des requins. Il commanda à ses hommes de rassembler
tous les cadavres qui flottaient alentour, et tous les survivants
s'adossèrent autour de la macabre "plate-forme". Ils
restèrent ainsi en pleine mer durant 36 heures. luttant contre
les requins autour de 60 cadavres. Les squales pouvaient
détourner leur agressivité sur les morts,
épargnant les vivants qui semblaient des proies moins faciles...
Le 11 mars 1977,
Vic Beaver est un australien de
soixante-quatorze ans qui détient plusieurs records nationaux de
pêche au gros. Ce jour-là, il part à bord de son
bateau dans la baie de Brisbane, en compagnie de deux amis qui aiment
partager son passe-temps favori. Il fait nuit depuis longtemps lorsque
Harrison perçoit à travers la pluie les feux d'un cargo
sur une route de collision. Lorsque le navire de 2 500 tonnes les
éperonne, ils coulent instantannément et se retrouvent
tous trois à la mer, avec pour seul moyen de flottabilité
un container à glace de un mètre et un matelas
pneumatique. Les trois hommes vont s'accrocher au container comme ils
le peuvent pendant 36 heures. De petits requins sont venus les menacer,
et puis un gros s'est joint à eux. Quand ce requin attaqua Vic
Beaver, Harrison essaya bien de retenir Vic et de décourager son
agresseur à coups de pied et de poing, mais sans succès.
Plus tard il racontera : "J'essayai de retenir Vic avec moi alors qu'il
était tiré hors du container. Vis me dit simplement : "Il
m'a encore attrapé. Salut les amis, c'est comme ça." Et
puis il a disparu. C'est tout ce qu'il a dit quand le requin l'a pris.
John et moi avons essayé de nous serrer à
l'intérieur de la boîte à glace, mais nous pouvions
seulement y abriter nos têtes et nos épaules, et le requin
était toujours au-dessous de nous. Je le frappai à coups
de poing et de pied et me coupai légèrement. Le requin se
remit alors à tourner et John cria : "Il a eu mon pied !" Il me
dit de rester dans la boîte, et puis le requin l'emmena sous
l'eau. J'essayai de grimper dans la boîte par
sécurité, mais le salaud essaya de grimper avec moi."
Une heure après cette seconde attaque
fatale, Harrison fut sauvé par l'équipage d'un autre
bateau. Le requin devait être soit un blanc soit un tigre, les
deux espèces vivant dans la baie.
Toujours en Australie, dans le Nord du
Queensland.
Ray Boundy était skipper d'un bateau
de pêche de 14 mètres chalutant près des
récifs de Townville. L'un des palans du chalut vint à
casser, et, alors qu'il était déjà
déséquilibré, une grosse vague retourna le bateau.
Boundy trouva refuge sur la quille en compagnie de son équipier
Denis Murphy, vingt-quatre ans, et Linda Horton, vingt et un ans. Ils
décidèrent de quitter l'épave qui coulait en
prenant avec eux une planche de surf, une bouée de sauvetage et
des morceaux de polystyrène pour gagner les récifs
à proximité, où ils pourraient être
repérés.
A l'aube du 25 juillet 1983 ils n'étaient plus qu'à huit
kilomètres de la ville de Lodestone, mais personne ne les
aperçut, pas même l'avion qui passa au-dessus d'eux
à leur recherche. Peu après la tombée de la nuit,
un requin commença à pousser tout à la fois la
planche, les morceaux de mousse, la bouée de sauvetage et les
trois naufragés. Nous n'y prêtions pas une attention
excessive, raconta Boundy, pensant que si nous ne le contrariions pas
il nous laisserait tranquille. Le squale s'intéressa d'abord
à la jambe de Boundy, mais celui-ci le frappa avec l'autre pied
et l'animal disparut."
Dix minutes plus tard, une grosse vague renversa les trois
naufragés dans l'eau et le requin revint aussitôt. Murphy
se mit à hurler : "Il a eu ma jambe, le salaud a eu ma jambe" et
puis, quelques secondes plus tard : "Cette fois, ça y est ; toi
et Lindy, partez, éloignez-vous", et il nagea trois ou quatre
brasses vers le requin. Boundy et lindy entendirent dans le noir des
imprécations en même temps que des coups dans l'eau
témoignant d'une lutte acharnée entre l'homme et
l'animal, puis il virent le corps de leur compagnon émerger
à la surface la tête en bas, dans la gueule du requin,
avant de se faire dévorer.
Tout semble revenir dans l'ordre pendant environ
deux heures, et puis le monstre revint tourner à partir de
quatre heures du matin. Boundy continue son témoignage : "Lindy
était assise dans le filet de la bouée de sauvetage avec
ses pieds hors de l'eau posés sur un paquet de mousse.
J'étais pratiquement sûr qu'il s'agissait du même
requin. Cette fois il s'approcha lentement, puis attaqua Lindy avec ses
énormes mâchoires autour de ses bras et de sa poitrine,
alors qu'elle était encore assise dans la bouée, la
secouant trois ou quatre fois. Elle laissa lentement échapper un
petit cri au moment où le requin lui écrasait la cage
thoracique, et je sus presque instantanément qu'elle
était morte".
Boundy utilisa deux morceaux de mousse en
guise de pagaies, et juste après le lever du soleil le requin
réapparût encore faisant des cercles autour de lui. "Je
pensais que je ne m'en tirerais jamais car il tournait toujours plus
près de moi, et puis j'aperçus un récif qui
dépassait de la surface." Boundy réussit à surfer
jusqu'au récif en s'aidant d'un morceau de mousse. Là un
avion l'aperçut et un hélicoptère de la RAAF le
récupéra. L'attaquant ou les attaquants étaient
probablement des requins tigres ou de gros whaler sharks (carcharhinus
obscurus) très répandus dans cette zone.
Requin
Sombre
Carcharhinus
obscurus
Xavier MANIGUET ("Les dents de la mort")